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Vous avez relevé un vrai défi. D’habitude on vous dit que ce n’est pas pour vous. Vous avez réussi ! Il faut que vous vous serviez de cette expérience dans votre travail. Dans votre vie sociale ». Sur la place Saint Nicolas, ce dimanche après-midi, Benoit Cousin, pilote de la BMW 2000 Touring, numéro 260 de ce 20ème Tour de Corse historique qui vient de finir, félicite ses copilotes.
Il y a de l’émotion dans la voix. Les mots sonnent juste, sincères. Parce que ses camarades d’aventure, les neuf garçons et la fille qui étaient à ses côtés, ne sont pas des sportifs comme les autres : ils sont issus de l’Etablissement et service d’aide par le travail (Esat) et de l’Institut médicoéducatif (IME) de L’Eveil. Oui, ce sont des handicapés. Qui, pendant cinq jours, ont tenu et lu le road book. Une performance. Tout a commencé à l’automne 2019. L’épreuve est annoncée et la direction de l’Eveil, décidée à faire participer chaque année ses résidents à une manifestation, contacte José Andreani l’organisateur de la course. Celui-ci se montre ravi. Et se rapproche de l’association Handi Rally Passion, une habituée de ce type de défi avec son président donc, Benoit Cousin.
« Il est venu à quatre reprises nous voir se souvient Véronique Cuvillier – Lugarini, la présidente de l’association L’Eveil. D’abord pour la partie administrative. Puis deux fois pour des roulages avec les jeunes qui s’étaient portés volontaires. Il fallait tout de même vérifier qu’ils étaient capables de se maîtriser, de dompter leur stress. Nous avions une appréhension, je dois bien l’avouer. Et aujourd’hui, à l’issue du rallye, nous sommes fiers d’eux, fiers pour eux. »
« C’était un peu un rêve »
Les dix copilotes (huit de l’Esat, deux de l’IME) se sont relayés à bord de deux voitures. La BMW 2000 Touring, datant de 1979, avec ses 130 chevaux, a malheureusement été victime d’une casse et n’est pas allée au bout. En revanche, la Super 5 GT Turbo, millésime 1989, avec 140 chevaux, piloté par Julien Coutaz a franchi la ligne d’arrivée en 33ème position, sur 75. « J’avais déjà assisté à des spéciales de la Giraglia, c’était en 2011, confie tout sourire, Grégory, 29 ans, pensionnaire de l’Esat. J’aime beaucoup le rallye, et c’était un peu de rêve de m’asseoir enfin dans une vraie voiture de course et de participer. Je ne dis pas que ç’était facile, on a eu droit à des répétitions pour lire les notes, annoncer les virages … mais c’est un début. Un début magique. Et si c’était à refaire … »
Evidemment que cette course, ces sept jours ensemble, unis, avec leurs éducateurs, dans un objectif sportif, a noué des liens, sceller plus fort des amitiés. Ils ont échangé leurs places de copilotes, s’encourageant, participant à l’assistance, déjeunant, dînant en équipe. « C’est une expérience inimaginable, assure Fred Tieri, directeur de l’Esat. D’abord parce que cela leur apporte une estime de soi importante, rare. Ensuite parce que durant le rallye, ils sont responsables à la fois d’eux-mêmes mais aussi du pilote qui est à leur côté. Ils sont sortis de la routine pour se confronter dans une compétition où ils concourent au même titre que les autres, le handicap s’efface dans ces cas-là. »
Une gratitude énorme envers les deux pilotes
Ce dimanche, au cœur de Bastia, ils se racontent encore des anecdotes, se remémorent un passage à Calvi, l’arrivée de Porto-Vecchio. Avec, toujours, un regard vers Benoit Cousin, et Julien Coutaz. Ils quittent le groupe pour, encore une fois, leur dire merci, leur toucher le bras, l’épaule en signe de reconnaissance.
Au-dessus des masques de rigueur, les regards ne trompent pas. Serge, 44 ans, lui aussi résident à l’Esat, semble sonné par l’émotion de ce qu’il a vécu pendant la semaine : « Je me suis vraiment amusé. J’adore la vitesse et je me souviens du Tour de Corse quand il était passé à Zuani. Je n’imaginais pas me retrouver au Tour de Corse historique. Parce que vous savez, la Super 5 GT Turbo, ça carbure. On a même failli se planter dans un virage tellement ça va vite ! Mais je n’ai pas eu peur une seule fois. » Pour lui, pour Samir, Grégory, Antony, Emilie, Brahim, Jimmy, Jérôme, Jean-Louis, et Charles, il y aura un avant et un après. Trois cent cinquante kilomètres chronométrés ! Neuf cents kilomètres au total, en incluant les liaisons.
Ce n’est pas anodin pour des mineurs et des jeunes hommes à qui l’ont dit habituellement : « Non, ça, tu ne peux pas le faire, ce n’est pas pour toi ». Attablés au café des Palmiers, réunis une dernière fois pour dire au revoir à leurs deux pilotes, ils reçoivent chacun un trophée, la fameuse plaque du rallye, souvenir physique de ce qu’ils ont réalisé. Mais il est certain que l’essence même de cette histoire est impalpable, le plaisir qu’ils ont éprouvé, les situations qu’ils ont affrontées, la joie partagée …
Tout cela fera le bonheur de soirées, de repas, entre ceux qui y étaient et les autres. Des histoires à raconter pour longtemps.